Table ronde internationale de justice constitutionnelle

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Table ronde internationale de justice constitutionnelleConstitution, libertés et numérique

« Les droits et libertés fondamentaux à l’heure numérique : évolution et révolution ? »

 Priscilla jensel-monge : priscilla.monge @ hotmail.fr

Audrey bachert-peretti : audrey.bachert @ gmail.com

Il est devenu courant, dans toutes les sciences sociales, d’évoquer une révolution numérique, d’importance au moins égale à la révolution industrielle, et la crise sanitaire qui touche le monde depuis plusieurs mois est loin d’avoir démenti ce constat. Si le numérique renvoie aux technologies utilisant une représentation des informations par les nombres, il touche aujourd’hui tous les aspects de la vie humaine et intéresse tous les champs du droit. Toutefois, il affecte particulièrement les droits et libertés fondamentaux, entendus, dans le cadre de cette table ronde internationale, comme des droits et libertés de valeur supra-législative et juridictionnellement garantis. S’il est un catalyseur des droits et libertés fondamentaux, il synthétise aussi des risques inédits.

     Les évolutions dues au numérique se déploient autour de deux angles principaux qui seront successivement examinés dans le cadre des deux premières demi-journées d’étude.

     D’une part, le numérique provoque des modifications, potentiellement paradoxales, quant à la substance des droits et libertés. La première table ronde sera donc l’occasion de poser un premier bilan des transformations matérielles des droits et libertés fondamentaux dues au numérique. Il s’agira principalement d’envisager la manière dont le numérique transforme la substance des droits et libertés fondamentaux.

     D’autre part, le numérique influence aussi le système de protection des droits et libertés. Alors que la protection juridictionnelle des droits et libertés a été développée essentiellement en réaction aux menaces que représentait la puissance publique, les violations peuvent aujourd’hui être le fait de personnes privées, physiques ou morales, nationales ou étrangères. La seconde table ronde permettra ainsi d’envisager, de manière générale, les différents niveaux de protection et leur pertinence et de s’attarder plus spécifiquement sur les éventuelles transformations de l’office du juge constitutionnel.

     Cette table ronde internationale permettra de poser un premier bilan global de l’incidence du numérique sur les droits et libertés fondamentaux et conduira à déterminer s’il ne s’agit finalement, et pour l’instant, que d’une simple évolution ou d’une véritable révolution. La session plénière aura une visée plus prospective. Elle aura pour objet de réfléchir à l’élaboration d’une charte des droits et libertés fondamentaux qui permettra d’entrer pleinement dans l’ère numérique.

 

Première table ronde

La substance des droits et libertés fondamentaux :

quelles spécificités à l’heure numérique ?

     Cette première table ronde doit être l’occasion de s’interroger sur la manière dont le numérique est susceptible de transformer la nature et le contenu des droits et libertés fondamentaux.

     Ces transformations pouvant présenter des degrés variables suivant les systèmes, cette première table ronde prendra appui sur une présentation du contenu substantiel des droits concernés dans chaque pays. Il s’agira ainsi de réfléchir tant à la consécration de nouveaux droits qu’aux évolutions potentielles de droits plus traditionnels. En ce qui concerne la consécration de nouveaux droits, on pensera notamment au droit à l’oubli, au droit d’accéder à Internet ou au droit à l’identité numérique. Toutefois, les problématiques liées à la cyber-sécurité peuvent aussi conduire à envisager un droit à la sécurité numérique, voire à la souveraineté numérique. En ce qui concerne les droits plus traditionnels, la liberté d’expression, le droit au respect de la vie privée, la liberté d’entreprendre ou le droit de vote viennent immédiatement à l’esprit, mais d’autres droits, tels que le droit de propriété, le droit à un recours juridictionnel effectif ou le droit de demander des comptes aux autorités peuvent également être affectés. Autant d’exemples qui montrent que le champ des possibles est vaste et que la confrontation de situations nationales diverses constituera une opportunité unique pour dresser un panorama global.

     Si la question des sources ou de la valeur normative de ces droits sera envisagée, il conviendra également de s’intéresser à la manière dont le juge appréhende le phénomène numérique et met en œuvre la garantie des droits à son contact. Le numérique étant autant un catalyseur qu’une menace pour les droits et libertés, il conviendra de voir s’il modifie nos conceptions traditionnelles, souvent axées sur des droits individuels opposables à l’État et dont les limitations se justifient traditionnellement par des considérations liées à l’ordre et la sécurité publics.

     Ces différents points seront abordés en répondant aux questions suivantes :

  • Des droits fondamentaux numériques ont-ils été intégrés dans le texte constitutionnel ? Le juge constitutionnel en a-t-il reconnu ? Existe-t-il une reconnaissance infra-constitutionnelle ? Dans quel contexte cette reconnaissance s’est-elle produite ?
  • Ces droits spécifiques sont-ils des droits autonomes ou sont-ils rattachés à des droits préexistants ? Y a-t-il eu des évolutions (certains droits d’abord rattachés ont-ils été autonomisés ou inversement) et pourquoi ? Pour les droits préexistants influencés par le phénomène numérique, sont-ils confrontés à une extension de leur champ d’application ou sont-ils transformés / reconfigurés par ce phénomène ?
  • Qui sont les bénéficiaires et les obligés de ces droits ? S’agit-il parfois de droits collectifs ? Des devoirs numériques sont-ils consacrés ? Certains de ces droits impliquent-ils des obligations positives à la charge de l’État ?
  • Certains droits fondamentaux sont-ils indifférents au phénomène numérique ?
  • Le phénomène numérique et ses dangers potentiels constituent-ils une nouvelle justification aux restrictions des droits et libertés ?

 

 

Seconde table ronde

Les mécanismes de protection des droits et libertés fondamentaux :

quelles transformations à l’heure numérique ?

     Cette seconde table ronde vise à étudier les évolutions potentielles du système de protection des droits et libertés face au phénomène numérique.

     Il s’agira de s’intéresser d’abord aux différents acteurs de cette protection. Alors que le juge constitutionnel est souvent présenté comme le garant essentiel des droits et libertés – c’est même là l’une des justifications premières de son existence –, on pourra se demander s’il n’est pas concurrencé à l’ère numérique par d’autres acteurs, tels que les autorités politiques, des institutions spécialisées, voire les juges ordinaires. Entre concurrence et complémentarité, il s’agira ainsi d’étudier comment interagissent les différents acteurs nationaux du système de protection des droits et libertés de l’homo numericus. Par ailleurs, la pertinence de l’échelle de protection ne pourra être occultée. Le numérique étant souvent conçu comme un monde sans frontière, voire sans limite, où tout est à la portée d’un simple clic, cette caractéristique engage à examiner les influences réciproques et les coopérations mises en œuvre entre différents systèmes et différentes échelles.

     Enfin il conviendra de se concentrer sur l’office des juges, constitutionnels et ordinaires. D’une part, la question de l’horizontalité des droits et libertés et ses conséquences se posera avec une particulière acuité puisque le numérique décuple les sources de violation potentielles des droits et libertés, lesquelles peuvent aisément être le fait de personnes publiques autant que privées, qu’il s’agisse des États, y compris étrangers, des individus ou encore des géants du Net. D’autre part, les caractéristiques du numérique, notamment sa technicité et sa complexité, conduiront à s’interroger sur leurs conséquences pour les juges qui y sont confrontés.

     Ces différents points seront abordés en répondant aux questions suivantes :

  • Comment s’articule la protection des droits et libertés fondamentaux à l’ère numérique entre le juge constitutionnel et les autorités politiques (législateur, pouvoir réglementaire) ? Des autorités spécifiques ont-elles été créées pour protéger les droits et libertés face au phénomène numérique ?
  • Comment s’articule la protection des droits et libertés fondamentaux entre le juge constitutionnel et les juges ordinaires (lorsque la question se pose) ?
  • Le système de protection interne est-il en avance ou a-t-il été influencé par les systèmes de protection étrangers, supranationaux ou internationaux (to lead or to be led) ? Comment s’articulent les sources internes et externes de protection et est-ce une spécificité pour les questions numériques ?
  • Le numérique renouvelle-t-il la question de la territorialité de la protection des droits et libertés fondamentaux ? Des instruments de coopération (judiciaire ou autre) ont-ils été mis en place entre les États ?
  • Existe-t-il une influence du phénomène numérique sur le travail des juridictions constitutionnelles ? Y a-t-il un renouvellement des techniques de contrôle et du raisonnement juridique ? Y a-t-il des modifications du fonctionnement pratique de la juridiction constitutionnelle ? Y a-t-il des obstacles à l’office du juge constitutionnel ? Des experts sont-ils nécessaires ?
  • Peut-il y avoir un recours constitutionnel spécifique ? Le numérique facilite-t-il l’accès au juge constitutionnel ? Le numérique renforce-t-il l’accessibilité de la justice constitutionnelle ?

 

Session plénière

Vers une charte des droits et libertés fondamentaux numériques

 

     Cette session plénière est destinée à réfléchir à une éventuelle charte des droits fondamentaux numériques qui pourra être formalisée à l’issue des travaux de ces journées, à partir des rapports nationaux et des échanges entre les participants.

     Dans cette optique, les rapports nationaux pourraient, lors de leurs paragraphes conclusifs, envisager les questions suivantes :

  • Quels sont les droits fondamentaux ayant un lien avec le numérique les plus invoqués par les requérants ? Les plus mobilisés par le juge constitutionnel ? Les plus appliqués par les différents acteurs (juges, autorités indépendantes, etc.) ? Les plus analysés par la doctrine ?
  • Quels sont les impensés des droits et libertés en matière numérique ? Quels droits pourrait-on imaginer ?

     À partir des différentes propositions de Charte, sera discutée, amendée et adoptée par l’ensemble des participants à la table ronde une Charte des droits fondamentaux numériques. La Table ronde se fera ainsi force de proposition.